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LE GNÔMÔN DE L'IDIOLOGUE

Ce nom bizarre est une transcription littérale de son appellation grecque : Ὁ Γνώμων τοῠ Ἰδίου Λόγου (le Barême du préposé au Compte Privé de l'Empereur). Le fonctionnaire en question est un Chevalier romain dépendant directement du Préfet d'Égypte sous le Principat. Le texte est composite à plus d'un titre : c'est à la fois un recueil de décisions judiciaires prises par les Empereurs, les Préfets d'Égypte ou les Idiologues, faisant office de jurisprudence (au sens contemporain du mot) et un barême pénal pour les principales infractions aux droits pratiqués par les différents habitants de l'Égypte sous l'occupation romaine.

Présentation papyrologique

Le texte est principalement accessible par un papyrus conservé à Berlin, le B.G.U. V 1210. Le papyrus fut découvert en 1912 à Théadelphie, dans le Fayoum et daté de la deuxième moitié du IIe siècle, entre 150 et 180, sans pouvoir préciser plus finement la date. Un court fragment de ce même texte à été retrouvé à Oxyrhynkhos (le P. Oxy. XLII 3014). Ce dernier papyrus était nettement plus ancien, mais seul quelques bribes du document attestent que le texte lu a peu évolué depuis l'époque des Julio-Claudiens.

Le papyrus de Berlin se présente comme un grand rouleau fragmenté en trois larges pièces. Il mesure en tout près de deux mètres de long. Il est écrit sur onze colonnes. Les trois premières sont composées de quarante caractères, à cinq lettres en plus ou en moins. Les colonnes ultérieures sont plus denses, autour de cinquante lettres par ligne. Le texte lisible se compose d'un préambule de sept lignes, suivi de cent quinze articles, dont seuls les quatre-vingt premiers sont numérotés. Le rédacteur passe à la ligne à chaque nouvel article. La plupart des articles sont brefs (deux à trois lignes). Au delà de l'article cent quinze, seules quelques lettres sont lisibles. L'on ignore si le document comptait plus de onze colonnes quand il était entier.

 

La fourchette chronologique vient de deux constats différents : au recto de notre document, un décompte de récolte de blé date de 149 de notre ère (l'an 12 d'un Empereur de la dynastie antonine). Le détail du texte ne mentionne pas les textes juridiques ultérieurs à 180 (règne de Marc-Aurèle), dont plusieurs lois importantes pour les matières traitées.

Ce texte a été publié plusieurs fois. Nous en citerons trois : la première publication est due au Papyrologue allemand Ulrich Schubart, en 1919, dans un contexte socio-politique extrêmement difficile. La deuxième résulte des soins du Professeur Salvatore Riccobono Jr, en 1950. La troisième édition est composée par Joseph Mélèze-Modrzejzwski en 1977.

Contenu du texte

Le préambule (parfois dénommé Prœmion) explique la nature du document. C'est un relevé d'Abrégés des matières de différents chapitres d'une compilation générale, celle de toutes les décisions juridiques ou judiciaires des Empereurs, Préfets et Idiologues, relatives au droit des gens et au droit pénal ayant cours en Égypte depuis l'Empereur Auguste. Nous n'avons plus accès à cette bibliothèque de jurisprudence romano-égyptienne : nous ne disposons plus que des cent-quinze premiers abrégés d'intitulés (Τοῠ Γνώμονος... Κεφάλεια Συντεμών ὑπέταξα). Le texte dont nous disposons présente une synthèse organisée en un petit nombre de toutes les matières (ὀλιγομερία) soumises au contentieux romain, grec, égyptien ou mixte.

Nous pouvons en tout relever cinq catégories de points de droits :

1) le statut des personnes (articles 1 à 35), partie qui se décline en règles sur les tombeaux des citoyens romains ou grecs (a. 1 et 2), les règles générales d'attribution de biens vacants au fisc (a. 3 et 4), l'ensemble des dispositions relatives aux testaments et aux legs (articles 5 à 22), la répression financière de l'inceste entre citoyens romains (a. 24), les questions relatives aux dots et à la capacité testamentaire des citadines (a. 24 à 31), des dispositions diverses (a. 32 et 22) et relatives à la capacité des soldats à tester (a. 34 et 35) ;

2) la répression des crimes et des délits (articles 36 à 69), exposant des généralités (a. 36 et 37), les règles de successions d'unions mixtes entre citoyens et Égyptiens (a. 38 et 39), des énoncés sur des cas divers (a. 40 à 42), les usurpations indues ou fautives du droit de cité (a. 43 à 51), les différents droits d'intermariages (relatifs aux Romains, aux soldats etc. : a. 52 à 57), les infractions en matière de recensement (a. 58 à 63) ou de douane (a. 64 à 69) ;

3) les restrictions consécutives à l'exercice d'un emploi public (article 70),

4) le droit des affaires religieuses (articles 71 à 97), détaille le droit général des cultes (a. 71 à 76), les charges sacerdotales pour le culte égyptien (a. 77 à 80), la police des temples (a. 81 et 82), les dispositions particulières (a. 83 à 88), les célébrations des fêtes en l'honneur d'Apis et de Mnévis (a. 89), les empêchements et interdictions (a. 90 à 96), la répression de la pratique des maléfices (a. 97)_;

5) divers compléments, surtout en matière foncière, économiques  ou successorale (articles 98 à 112) : le droit notarial (a. 98 à 101), la police économique (a. 102 à 106), les confiscations (a. 107 et 108), les autres restrictions dues au statut ou à la fonction (a. 109 à 112).

Au delà de l'article 112, il n'est pas possible de déterminer le contenu des dispositions partiellement lisibles. 

L'on remarquera la fréquence des expressions et des mots "il est permis", (ἐξόν), "il n'est pas permis" (οὐκ ἐξόν), "fut condamné à" (κατεκρίθη).

Problématiques

De multiples questions se posent sur ce texte. Sans entrer dans le détail technique de la recherche sur ces sujets, nous citerons trois problématiques :

- en premier, quelle est la valeur juridique de ce texte ? Sous Auguste et ses premiers successeurs, le Gnômôn est un aide-mémoire pratique des différentes décisions juridiques, une sorte de manuel du droit romano-égyptien. Mais en 68 de notre ère, après la disparition de Néron, le Préfet d'Égypte Tiberius Julius Alexander lui donne une pleine force de droit : "J'ordonne que le Gnômôn de l'Idiologue entre en (pleine) vigueur, (une fois que) les innovations contraires à la Grâce des Empereurs auront été redressées" 1. Le verbe κεῑσται ne laisse aucun doute dans le langage juridique qu'utilise Ti. Julius Alexander, au sens d'être établi, d'être instauré, de conférer à ce texte la vigueur de la loi, lui donner force normative legis uicem 2

- de plus, la documentation papyrologique nous a restitué plusieurs textes datant du règne d'Auguste et rendant compte de l'exécution de rites publics selon le Gnômôn (κατὰ τὸν Γνώμονα) : P. Oxy. IX 1188 lignes 4, 9 et 10, P. Oxy. XX 2277 lignes 3, 7 et 11-12. Mais on ignore quelle est la forme précise de cette prescription (un texte faisant office de loi romano-égyptienne ? une prescription purement religieuse ? sur quelle base et venant de quelle principe d'obligation ?).

- enfin, comment s'articule le lien entre le droit romain tel qu'il est pratiqué à Rome ou à Beyrouth (patrie possible de Gaius) et le droit particulier des Citoyens Romains vivant en Égypte ou à Alexandrie (celui dont rend compte le Gnômôn de l'Idiologue) ? À ce stade, nous sommes bien obligés d'avouer que nous n'en savons rien, que rien ne nous renseigne si peu que ce soit sur cette question ! 

Pour aller plus loin

La recherche sur ces questions en est encore à ses débuts. Pour les approfondir, nous renvoyons au texte même du Gnômôn, que l'on peut trouver en suivant ce lien.

 

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1 : Κελεύσθαι τὸν Γνώμονα τοῦ Ἰδίου Λόγου κεῑσται, τὰ καινοωιηθὲντα παρὰ τὰς τῶν Σεβαστῶν Χάριτας ἐπανορθωσάμενος. OGIS 669 ligne 44. 

2 : Legis uicem, en lieu de loi  (comme du fait du pouvoir législatif conféré au Sénat ou à l'Empereur, selon GAIUS  Institutes I 4-5).

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